
- François Guinot, 62 ans, est ingénieur chimiste ENSCM, docteur ès-sciences physiques, docteur en économie. Il a notamment été directeur général de la R&D de Rhône-Poulenc Santé, directeur général de Rhône-Poulenc Santé, PDG de Rhône-Poulenc Chimie et directeur général de Biomérieux.
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Toutes les données vont dans le même sens. Si les Chinois copient notre façon de vivre, le monde court au cauchemar économique et écologique.
Les partenariats technologiques sont l'une des premières conditions pour tenter d'éviter de vivre ce mauvais rêve. Néanmoins, même conçus dans un équilibre "gagnant-gagnant", ils accéléreront une redistribution des cartes au plan mondial. Très vite, la caricature d'une répartition entre produits à haute valeur ajoutée pour l'Occident et produits à faible valeur ajoutée pour les pays émergents deviendra désuète. Ne l'est-elle pas déjà ?
D'autant que la concurrence par les coûts sera rapidement couplée à une concurrence par l'innovation. Faut-il rappeler que la Chine amène 9 % d'une classe d'âge dans son enseignement supérieur ? Qu'elle envisage peu à peu d'accroître cette proportion ? Que déjà, ces 9 % qui sortent à 100 % diplômés représentent plus d'étudiants que tous ceux de l'Union européenne ou des États-Unis. Que la Chine produit chaque année énormément plus d'ingénieurs que les États-Unis ou l'Union européenne. Que sa recherche est devenue la troisième du monde par l'effort consenti ; qu'elle a récemment pris, à la place de la France, le cinquième rang dans le monde par le nombre des publications scientifiques dans des revues de bon niveau...
Tout va très vite. Nous n'avons plus de temps à perdre pour reformuler une stratégie adaptée à cette nouvelle donne. Elle doit évidemment être basée sur l'innovation. Nous pouvons, pour quelque temps encore, maintenir par l'innovation une avance technologique dans certains domaines.
L'Europe doit reprendre l'initiative
Ma conviction est que la Chine ne va pas nous rattraper ; elle va plutôt nous surprendre en empruntant de nouvelles voies de développement. Regardez l'automobile. Elle sait qu'elle ne rattrapera pas l'Amérique en l'imitant. Cela signifierait quelque 600 millions de voitures sur les routes de Chine ! Avec de tels chiffres, tout explose : la consommation de pétrole, de métaux. On bute sur des limites infranchissables. La recherche chinoise dans le véhicule propre est très avancée.
D'une manière ou d'une autre, ces nouvelles voies appartiennent au concept de développement durable. Cela renforce l'intérêt d'établir des partenariats avec la Chine, mais cela devrait surtout nous inciter à reprendre l'initiative dans d'autres domaines que celui de la précaution.
En réagissant positivement à ce que j'ai appelé le phénomène majeur de notre temps, l'Europe devrait être capable de repenser universellement le progrès. Elle assurerait ainsi son avenir, en se réconciliant avec ses valeurs fondamentales.
Réconcilier compétitivité et symbiose avec la nature demandera beaucoup de temps et d'efforts de recherches pour mieux comprendre les mécanismes de celle-ci. Cela demandera de repenser la plupart des activités humaines en faisant appel à de nouvelles technologies, qui s'imposeront progressivement à condition d'être compétitives. Un champ immense de recherches et d'innovations technologiques s'ouvre, qui nourrira l'emploi et la croissance futurs.
C'est par cette stratégie que l'Europe se donnera la chance de jouer un rôle majeur dans le monde en gestation. Elle se doit, par conséquent, d'être la pionnière d'un développement durable dont il faut inlassablement répéter les trois composantes indissociables que sont l'efficacité économique, la recherche d'une symbiose avec la nature, et la solidarité entre toutes les parties du monde.
Voilà un projet capable de sortir l'Union européenne de sa mélancolie, et de mobiliser ses peuples.
« UN CHAMP IMMENSE DE RECHERCHES ET D'INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES S'OUVRE. »
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