
Le prototype de réacteur au plomb à neutrons rapides utilisé pour Guinevere
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Neptunium, Américium, Curium… Ces atomes aux noms un brin ésotérique constituent la famille des actinides mineurs, sombre engeance de la fission nucléaire. Leur forte radio toxicité peut s’étaler sur des périodes atteignant 300 000 ans ! « L’enfouissement géologique de ces déchets rencontre de gros problèmes d’acceptabilité sociétales », souligne Alex Mueller, Directeur Adjoint de l’institut de physique nucléaire et physique des particules (IN2P3) au CNRS.
La recherche internationale s’intéresse donc à la possibilité de transmuter ces noyaux radioactifs à très longue durée de vie en petits noyaux à durée de vie plus courte grâce à la fission par neutrons rapides. Le principe : bombarder les actinides de neutrons à des niveaux d’énergie suffisamment hauts pour enclencher leur fission. En inaugurant l’installation Guinevere, des équipes du centre d’étude de l’énergie nucléaire belge (SCK-CEN) et du CNRS, assistés par le CEA, ont franchi une étape décisive dans ce sens.
Première mondiale
Guinevere est le premier système piloté par accélérateur (ADS) capable d’opérer en continu, et donc de simuler les conditions d’une utilisation industrielle. L’ADS couple un accélérateur de particules à un réacteur à neutrons rapides. L’accélérateur porte des protons à très haute vitesse avant de les catapulter sur une cible de métal lourd placée au cœur du réacteur. Leur ''crash'' génère alors des neutrons à très haute énergie qui, directement ou par le biais d’autres fissions, vont casser les actinides mineurs.
« Dans un ADS, le combustible peut comporter jusqu’à 50 % d’actinides mineurs », précise Annick Billebaud, responsable du projet Guinevere au CNRS. Autre avantage : ce type de réacteur dit ''sous-critique'' dépend des neutrons fournis par l’accélérateur de particules. En cas d’arrêt de ce dernier, la réaction stoppe d’elle-même. Exit, donc, tout risque d’emballement incontrôlé
Vers un prototype préindustriel
Et maintenant ? Guinevere va servir à valider les modèles théoriques élaborés par les chercheurs pour la construction du prototype préindustriel Myrrha en 2023. D’une puissance de 100 MW thermiques, pour un coût estimé à 960 millions d’euros, Myrrha aura la lourde charge de démontrer la viabilité technico-économique des ADS. Car certaines briques technologiques posent question. A commencer par le circuit de refroidissement du réacteur, utilisant un alliage Plomb-Bismuth liquide. Une alternative pourtant nécessaire aux systèmes actuels de refroidissement à l’eau, qui limitent la vitesse des neutrons.
Les ADS contribueront également, entre autres technologies, au développement de réacteurs de quatrième génération. Ces nouveaux générateurs électriques devront apporter des ruptures en termes de sécurité et d’impact environnemental par rapport aux technologies de deuxième ou de troisième génération. Les ADS pourraient aussi être employés comme des ''centres d’incinération'' exclusifs : ils traiteraient alors les déchets produits par les autres centrales sans être intégrés au parc électrique.
En matière de transmutation des déchets, la stratégie française devrait être fixée dans le courant de l’année 2012. « Il convient aussi de préciser que la transmutation n’éliminera pas la nécessité de l’enfouissement géologique », prévient Anne Billebaud. « Par contre, elle permettrait de réduire considérablement les surfaces de stockage et la radiotoxicité à long terme des déchets ».
Hugo Leroux